Texte à méditer :  "Nulle part l'homme ne trouve de plus tranquille
et de plus calme retraite que dans son âme"
   Marc-Aurèle (IIè s. ap. J.-C)

Arts du langage - Vercors -"Le songe"

 

Domaine concerné : arts du langage

Discipline : français

 

 

HDA- Fiche de synthèse

Pour analyser un texte littéraire

 

 

 

 

 

 

I. Identifier et présenter l'œuvre (informations générales) :

 

Titre : « Le Songe » in Le Silence de la mer[1]

Auteur : Vercors

Genre littéraire : Nouvelle

Date de réalisation et période : 1943 (rédaction) 1949 (publication)

 

II- Connaître l'artiste (dates, nationalité, caractéristiques de son œuvre, mouvement(s), autres œuvres) :

 

Vercors est le pseudonyme de Jean Bruller (1902-1991). D’abord graveur, il publie des albums humoristiques et satiriques, 21 recettes de mort violente en 1926. Humaniste convaincu et pacifiste, il s’inquiète assez tôt de la montée des fascismes dans les 30’s (il publie, en 1935,  27 aquarelles intitulées  L’Enfer). Démobilisé en 1940, il refuse la collaboration et fonde en 1941, avec son ami Pierre de Lescure, Les Editions de Minuit (maison d’édition qui existe toujours). C’est à ce moment-là que Jean Bruller devient Vercors et la 1ère publication des toutes nouvelles Editions de Minuit est Le Silence de la mer. Vercors continue de publier sous l’Occupation, La marche à l’étoile où il manifeste son refus de Vichy, ou « Désespoir est mort » qui illustre le surgissement de l’espoir  dans une situation apparemment sans issue. Il abandonne la direction des Editions de Minuit en 1944.

Après la guerre, Vercors écrit Les Animaux dénaturés, roman qui pose la question de savoir ce qu’est un homme et ce qui le distingue d’un animal. Au théâtre, Vercors adapte Le Silence de la mer en 1949 et Les Animaux dénaturés, sous le titre de Zoo ou l’assassin philanthrope, en 1963.

En 1990, il traduit avec sa femme le roman Lewi’s Pourquoi j’ai mangé mon père ?

 

III- Autour de l'œuvre : expliquer le contexte historique et/ou artistique (+ anecdotes éventuelles sur l'histoire de l'œuvre, sa création) :

 

« Le songe » est rédigé en 1943 mais la publication sera différée pour épargner les familles encore ignorantes du sort des leurs.

C’est le témoignage d’un ami déporté à Oranienbourg et miraculeusement  libéré qui le pousse à écrire. La nouvelle ne paraît qu’en 1949.


IV- Connaître l'œuvre, la comprendre et l'analyser :

 

Argument de la nouvelle : La nouvelle dénonce les horreurs des camps de concentration, sous forme d’un récit à la 1ère personne qui mélange diverses tonalités.

Composition de la nouvelle : elle se compose de trois mouvements facilement repérables

1)    Le prologue, sous forme d’apostrophe au lecteur, pose la question de la compassion et de l’aptitude de chacun à s’émouvoir des malheurs d’autrui

2)    Le récit du songe : récit d’une expérience personnelle écrite selon le point de vue interne

3)    L’épilogue sous forme d’une révélation : le narrateur est un déporté

Problématique : Comment Vercors rend-il compte de l’horreur des camps et de la barbarie ? Quel regard porte-t-il sur l’homme à travers cette nouvelle ?

Axes de lecture développés (lecture linéaire de la nouvelle) :


1ère partie : L’apostrophe au lecteur

 

1.     Quelle phrase est répétée ? Quelles différences remarquez-vous ?

Début de la nouvelle « ex abrupto » avec une question qui est plutôt une façon d’interpeler le lecteur, de l’apostropher «Est-ce que cela ne vous a jamais tourmenté…» - la présence du démonstratif « cela » plonge le lecteur dans une sorte de perplexité qui ne le quittera pas tout au long de la nouvelle : à quoi Vercors fait-il allusion ? Est-ce un rêve ou la réalité ? Même interrogation quelques lignes plus bas avec un changement de temps « Est-ce que cela ne vous tourmentait pas ? » : on passe de l’achevé du passé composé au duratif de l’imparfait : il y a un rapprochement temporel entre l’autrefois révolu du PC et le presque maintenant de l’imparfait; puis, la question devient affirmation « Cela vous tourmentait parfois » p.86, la prise de conscience reste cependant tempérée par l’adverbe de temps « parfois »

2.      Repérez les lieux qui sont nommés. Que remarquez-vous ?

Effet de focus, de rapprochement géographique « Indes – Chine – Espagne – France – Paris ». Le lecteur doit se sentir de plus en plus concerné par les souffrances des autres qui sont à sa porte.

3.     Relevez une antithèse très marquée dans le 1er paragraphe. Quelle question plus générale pose ce prologue ?

Antithèse qui oppose l’évocation d’un bon vin, du sable chaud, d’un café noir, des plaisirs de la conversation,  « les jours heureux » et le « choléra », la « famine », les massacres et les tortures. La question que pose Vercors est celle de l’indifférence, de la capacité à compatir, à faire l’effort de « partager », à sortir du « wagon plombé ».

4.     Quels sont les indices du thème qui va être abordé dans la nouvelle ?

Vercors prend soin dès le début de la nouvelle de mettre le lecteur sur la voie : « wagon plombé », « emprisonnement », « déportation », « mort », « agonie » sont autant de mots-clés qui définissent le thème de la nouvelle : les camps de concentration.

5.     Quelle définition de l’imagination Propose Vercors ?

Vercors propose de réfléchir sur le pouvoir de l’imagination et du rêve qui nous fait accéder à une « conscience universelle et flottante », qui nous permet de voir ce qui n’a pas de réalité tangible et qui pourtant est vrai. C’est cet état de sommeil qui  rend le narrateur beaucoup moins indifférent au sort tragique de ceux qui sont dans les camps au point de partager leurs souffrances et de sortir, pour un temps,  du « wagon plombé » qui empêche de voir.

 

 

 

2ème partie : Une vision onirique et fantastique

 

1.     Que pouvez-vous dire de la façon dont le narrateur progresse ?

C’est une progression au ralenti, « marchais avec peine », « je m’épuisais et n’avançais guère », «  mes pieds me parurent peser cent kilos et rien ‘aurait pu me faire avancer d’un pas » avec une impression de tourner en rond « Allais-je donc en rond ? ». C’est un itinéraire qui semble ne mener nulle part, à moins que les constructions qui apparaissent p.93 ne soient la fin du voyage «  C’était là que j’allais » p.93.

2.     Quel est le point de vue adopté ? Le narrateur est-il sûr de ce qu’il voit ?  Quels sont ses sentiments ?

Le récit est à la 1ère personne, celui qui raconte vit les événements, le point de vue interne permet au lecteur de voir à travers le regard de ce témoin particulier qui n’est pas vraiment sûr de ce qu’il voit ; en effet la  répétition de « je ne sais »p.88 l.83 »je ne sais si » p.95 l.230 ou «  « je ne saurais le dire » p.92 l.160, « il me semblait » l.74, « me parurent » p.91 ou « si l’on peut nommer cela une « campagne » » sont autant d’indices de la subjectivité du narrateur, de son  incertitudes et de ses doutes.

La modalisation, l’apparition soudaine des personnages p.89, les sentiments de peur et d’angoisse du narrateur « « m’angoissait » l.82, « mon corps se couvrit de chair de poule » l.275, « épouvante » et « frisson terrifié » p.97, tout cela nous invite à retrouver dans cette nouvelle les caractéristiques de la nouvelle fantastique : il s’agit d’une vision fantastique et onirique puisque rêvée.

3.     Décrivez le paysage.

Description d’une campagne désolée et dénudée, boueuse, froide ; il y a de la fumée e un brouillard opaque, une odeur de pourriture et de mort flotte dans l’air. Paysage sinistre et affreux.

4.     Quels sont les personnages présents dans cette nouvelle ?

Le narrateur rencontre des personnages dont la description réaliste est effrayante : les corps sont décharnés, saignants, mutilés, souffrants, agonisants p.89 à 96 ; parmi eux, un seul est nommé, Yorick, à la fois 1ère  et dernière apparition tout à fait pathétique p.98. On remarque que très souvent les hommes sont comparés à des animaux « comme un escargot », « comme celle d’un jars » p.89, « comme une méduse échouée sur le sable », « comme un poulpe » p.95 : déshumanisation qui confine au grotesque, un grotesque effrayant et macabre.

Et puis il y a les « hommes noirs » toujours accompagnés de leur trique, les bourreaux, tortionnaires stéréotypés, inhumains et indifférenciés.

5.     Quels sont les indices qui nous permettent de comprendre que nous sommes dans les camps ?

« Le songe » est un des 1er textes à décrire les camps : la cheminée qui fume inlassablement p.96 et qui prend ici une connotation tragique et funeste, les baraquements p.93, les déportés martyrisés, l’odeur des corps calcinés p.96-97.


 

3ème partie : Du cauchemar à la réalité ?

 

1.     Quelle révélation est faite au lecteur ?

Après la rupture très nette du « Et puis… »p.98, le narrateur interrompt la vision pour donner une réponse « Maintenant j’étais un de ces homme-là ». Toute la nouvelle se trouve a posteriori éclairée par cette révélation répétée « J’étais seulement un de ces hommes-là ». L’observateur devient acteur du récit.

2.     Quel pronom est utilisé au début de cette partie ? Quel pronom à la fin ? Expliquez l’évolution.

Le « je » du début de la nouvelle se transforme en un « nous » qui apparaît p.99 l.346. Le récit d’une expérience personnelle devient témoignage collectif. L’empathie du « je » est telle qu’il finit réellement par partager avec tous les déportés l’expérience effrayante des camps.

 

3.     Quelle définition Vercors propose-t-il de l’homme ?

Pour Vercors, l’homme est double, il y a en lui l’instinct de survie de la bête, de la petite souris aux reins brisés, qui le pousse à résister, à vouloir vivre ; et puis il y a la nature humaine tentée parfois de renoncer, d’accepter d’en finir sous la trique des hommes en noir. C’est cette dualité à laquelle Vercors s’attache, qu’il ne cesse d’interroger et d’observer dans son œuvre.   

4.     Sur quel constat se termine la nouvelle ?

La nouvelle se termine sur un constat assez amer et désespérant, celui de l’indifférence et du rire qui, comme chez Hugo, est le signe de la méchanceté. Le dernier § revient donc sur la question posée au début de la nouvelle ce qui confère une grande unité et une grande cohérence au texte. 

 

V- Conclusion : Quel est le sens de l'œuvre ? Qu'est-ce que l'auteur a voulu exprimer ?

Une nouvelle qui se présente comme un songe, le titre nous y invite, et semble démontrer le pouvoir de l’imagination, notamment pendant le sommeil ; mais le songe est en réalité un cauchemar et le cauchemar devient réalité, tellement atroce et épouvantable que Vercors lui-même a eu du mal à y croire – il s’en est d’ailleurs excusé plus tard -. C’est sans doute ce qui explique l’écriture hallucinée et terrifiante de cette traversée à la fois irréelle et en même temps  si réaliste des camps de concentration.

Cette nouvelle  illustre aussi  le rôle de l’écrivain qui se doit de témoigner, même si dans un premier temps il a renoncé par respect et un peu par crainte aussi. Il fallait que l’écrivain décrive cette réalité dont l’horreur ne pouvait sans doute s’exprimer que dans un songe.

 

VI- Donnez votre avis sur l'œuvre en argumentant :


Qu’avez-vous pensé ou ressenti en lisant l'œuvre la première fois ? Pourquoi ? Votre avis a-t-il changé après l’analyse ?

 


VII- Mise en relation de l'œuvre avec d'autres œuvres artistiques :

 

·      Primo Levi, Si c’est un homme, 1956 (roman autobiographique sur l’expérience des camps)

·      Zoran Music, Nous ne sommes pas les derniers, 1970, série de dessins illustrant l’expérience des camps – il a lui-même été déporté à Dachau de 1944 à 1945

·      Alain Resnais, Nuit et brouillard, 1955, documentaire édifiant sur les camps de la mort

·      Vercors, Les animaux dénaturés, 1952


Liste du vocabulaire / des notions à connaître et à utiliser au sujet de cette œuvre ( mots clés):

 

Prologue/épilogue

Connotation/Antithèse /Apostrophe/ comparaison/ grotesque

Point de vue interne/ modalisation

Registre fantastique/ vision onirique/ pathétique



[1] Edition de référence : MAGNARD, collection Classiques et contemporains, n°28


Date de création : 31/12/2014 @ 11:54
Dernière modification : 31/12/2014 @ 11:54
Catégorie : Arts du langage
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